Ce 22 janvier, l’Association pour la mémoire de la Shoah publiait un communiqué informant que les cinq pavés de la mémoire installés rue Coenraets avaient été recouverts d’une chape rouge, de la même couleur que le trottoir, les rendant complètement invisibles aux passants. Ces pavés de la mémoire constituent un projet mémoriel européen initié par l’artiste conceptuel Gunter Demnig qui en a déjà placé quelque 45.000 dans plus de 1.000 villes. Ils entendent donner une dimension humaine à la Shoah et rappeler la dimension politique des crimes perpétrés par les nazis avec la complicité, pour ses premiers chapitres, des autorités belges de l’époque et en partie, à Saint-Gilles, de l’administration.
Les 5 pavés installés le 30 octobre dernier au 29 rue Coenraets rappellent quant à eux que vivaient à cette adresse, avant d’y être arrêtés par les Nazis et déportés vers Auschwitz en 1942, les membres de la famille Kichka dont un seul sur les 5 survivra, Henri Kichka, aujourd’hui un des derniers rescapés bruxellois de la Shoah et qui témoigne encore toujours.
Un certain attentisme
L’association pour la mémoire de la Shoah (l’AMS) a signalé au service Voiries de la commune la profanation de ces pavés le 4 décembre. Il aura fallu attendre le 26 janvier pour que les pavés soient nettoyés et restaurés, et encore après que l’AMS ait diffusé un communiqué dénonçant l’inertie de la commune de Saint-Gilles.
L’auteur des faits, un riverain, a quant à lui été auditionné par la police, et, explique la commune, « aurait agi par peur des réactions que la présence de ces pavés aurait pu susciter en face de son domicile ». Une plainte avec constitution de partie civile au nom de la famille Kichka a par ailleurs été déposée par l’association pour la Mémoire de la Shoah. En l’absence de plus d’infos, nous ne nous prononcerons pas sur le caractère antisémite ou non de cet acte de vandalisme et nous verrons quelles suites seront réservées à la plainte. Mais d’ores et déjà, cet acte suscite un certain nombre de questions que j’ai posées ce jeudi au conseil communal.
Ce ne sont pas les premiers pavés de la mémoire installés à Saint-Gilles, la commune en compte 17 sur son territoire et une demande vient encore d’être acceptée par le Collège pour la pose d’un pavé supplémentaire rue Berckmans. L’initiative est à saluer, elle rappelle en effet que Saint-Gilles fut le théâtre en 1942 d’une grande rafle dans le quartier du Midi. Une bonne occasion pour effectuer un travail de mémoire, de pédagogie autour de ces événements, et cette année particulièrement, alors qu’on commémore les 70 ans de la libération d’Auschwitz. Cependant, Saint-Gilles est la seule commune où sont installés ces pavés avec laquelle il n’a pas encore été possible de convenir d’un programme d’inauguration officielle.
Une opportunité manquée
Face à cet attentisme, j’ai donc interrogé ce 5 février, le Collège, visiblement mal à l’aise. Charles Picqué aura tout au plus admis que la commune a mis beaucoup de temps avant de procéder au nettoyage des pavés. Quant à une date d’inauguration demandée par l’AMS, aucun engagement du bourgmestre… : « Nous devons encore examiner la meilleure manière de procéder ». Et Picqué notamment de se retrancher sur le fait qu’il existe au sein même des organisations juives une polémique autour des pavés de la mémoire. Nous avons quant à nous souligné le manque de cohérence de la commune autorisant la pose des pavés mais n’organisant rien avec les habitants du quartier et les associations autour d’un travail de mémoire et de sensibilisation. Soit la commune refuse et s’en explique, soit elle accepte, mais si elle accepte, l’installation des pavés doit s’accompagner d’un travail pédagogique et de sensibilisation.
Si on veut en effet travailler sur la cohésion sociale, il est nécessaire d’impliquer les habitants dans cette initiative de mémoire. En l’absence de cette sensibilisation des habitants du quartier, l’acte de profanation intervenu fin de l’année passée risque encore de se reproduire. Or, à Saint-Gilles, aucun travail n’est entrepris autour de ces pavés avec les associations activés en matière de cohésion sociale, les maisons de jeunes et autres acteurs du quartier.
Seules les écoles communales, aurons nous appris par l’échevin de l’Enseignement, Alain Hutchinson, sont engagées dans un programme pédagogique avec l’asbl « Les Territoires de la mémoire ». Une excellente initiative mais aucun lien avec les pavés de la mémoire et l’histoire des familles juives saint-gilloises déportées n’est réalisé.
Par ailleurs, l’Association pour la mémoire de la Shoah a proposé d’organiser une expo photos autour de ces pavés à l’Hôtel de ville ; le lieu lui a été refusé. Ici aussi notre question quant aux arguments qui ont présidé à ce refus est restée sans réponse.
Dans les autres communes, je ne citerai ici que Bruxelles-Ville, Forest, Anderlecht, Molenbeek ou encore Ixelles, les inaugurations officielles, présidées par le bourgmestre, constituent des occasions de sensibilisation et de prévention auxquelles participent les associations locales ainsi que des élèves des écoles préparés tout spécialement par un travail scolaire préalable incluant la rencontre avec des témoins rescapés du génocide. Il serait plus que dommageable que Saint-Gilles soit la seule commune à ne pas participer à ce travail de mémoire indispensable…