Redonner une visibilité à Marie Janson !

Carré Moscou, Carré Hôtel des Monnaies, mais qui sait donc que cette place bordée par les rues Jourdan, de l’Hôtel des Monnaies de Moscou et de la Victoire, juste-au-dessus du Parvis, s’appelle en réalité place Marie Janson ? Aucune plaque indiquant le nom de la place ! Afin de remédier à cette invisibilisation des femmes dans l’espace public et de celle qui fut la première femme politique belge saint-gilloise à devenir sénatrice, j’ai demandé à ce qu’on pose de plaques à son nom aux entrées de la place. Elles ont été inaugurées ce dimanche 29 septembre. Une inauguration qui s’est inscrite dans le cadre de la clôture des premières journées du Matrimoine à Bruxelles.

Voici le texte de mon intervention lors de l’inauguration :

« Bonjour à toutes et tous !

Je voudrais d’abord chaleureusement remercier toutes celles et ceux qui se sont déplacé.e.s malgré la météo pour cette inauguration qui se déroule dans le cadre des journées du matrimoine organisée par l’asbl l’Ilôt-Lutte contre le sans-abrisme et la plate-forme « L’architecture qui dégenre ». Il était en effet temps qu’elles existent ces journées du matrimoine et je suis particulièrement heureuse que nous ayons pu soutenir leur première édition à Bxl et qu’elles se clôturent aujourd’hui à Saint-Gilles ! Ariane Dierickx Petit, directrice de l’Ilôt, et Apolline Vranken Vrancken, à l’initiative de ces journées, vous en toucheront un p’tit mot tout à l’heure. 

Je voulais commencer cette inauguration en vous posant une question : à votre avis combien, en pourcentage, de rues à Bxl portent un nom de femmes ? Qui peut répondre ?

4 % ! A Saint-Gilles, 43 % des noms de rues, places, squares sont donnés à des hommes et 2 % seulement à des femmes, le reste étant des noms de lieux ou autres. Ce qui donne une répartition par genre de 96% pour les hommes et 4% pour les femmes. Dans les faits, il y a 3 noms de rues attribués à des femmes : 2 noms de princesses (Louise et Clémentine) et la place Marie Janson qui n’avait jusqu’à aujourd’hui aucune plaque de rue permettant de le savoir. C’est assez consternant, même si on sait qu’il s’agit là d’un héritage d’une époque où on invisibilisait les femmes, il n’y a évidemment pas que 4 % de femmes qui ont marqué l’histoire de la pensée ou l’histoire politique d’une nation ou d’une ville ou l’histoire tout court de notre commune. Les femmes sont invisibilisées, sont « silenciées » partout où on produit de la parole (en politique, dans les médias) et où on produit de l’inconscient collectif de la société. Or, il ne peut pas y avoir de société juste, si toutes les représentations collectives inconscientes qu’on a sont faites en oubliant la moitié de l’humanité.

On doit réparer cet inconscient, pas le brutaliser. La résilience passe déjà par la réhabilitation publique des femmes influentes qui ont marqué leur temps et leurs successeur.se.s, mais qui sont pourtant tombées dans l’oubli. Des femmes qui n’apparaissent ni dans les livres d’Histoire ni dans les musées ni sur la façade des monuments. Des femmes spoliées, délégitimées. Qui connaît l’existence et le travail de la première femme réalisatrice, Alice Guy-Blaché dont le travail admirable inspira ses pairs ? Qui connait les noms des femmes qui influencèrent Kandinsky, Freud et théorisèrent avant eux ce qui les rendit célèbres ? Qui connait l’histoire de la sœur de Mozart, brimée dans son talent ? Qui n’assimile pas Camille Claudel à Rodin et ne retient pas en premier lieu sa passion amoureuse, sa fragilité au lieu de la puissance de son art ? Il faut s’attacher à réhabiliter les grandes femmes oubliées de l’Histoire. S’y atteler les trois cent soixante-cinq jours de l’année. Alors, seulement nous arriverons à déconstruire les stéréotypes et à renforcer la capacité d’émancipation des femmes contemporaines. Permettons à celles à venir de s’emparer du flambeau.

Plus qu’un acte symbolique, l’attribution des noms de rues, de places, d’écoles, de crèches, de salles est une décision politique. Ce marquage symbolique de l’environnement urbain constitue en réalité un grand livre commémoratif qui influence l’identité des habitants et habitantes et perpétue les stéréotypes sexistes. Place Morichar, rue Cluysenaar, place Van Meenen, rue Theodor Verhaegen, avenue Ducpétiaux, je peux encore vous en citer des dizaines comme cela à Saint-Gilles : les noms de rue dans notre commune accordent une place privilègiée aux hommes et évitent consciencieusement les figures féminines. Pourtant, elles existent bel et bien. 

Qui connaît Clara Impens, plus connue sous son nom de scène, Clara Clairbert ? Née rue de Lausanne, soprano, grande chanteuse lyrique belge du XXe siècle. Authentique diva, figure de proue du théâtre de la Monnaie de 1924 à 1953, elle fit de nombreuses tournées dans les capitales européennes ainsi qu’aux Etats-Unis. On dit que c’est elle qui a inspiré à Hergé le personnage de la Castafiore. Qui connaît Irène Hamoir, poétesse et romancière saint-gilloise, figure féminine centrale du mouvement surréaliste belge ? Qui connaît Sofia Poznanska, immigrée juive d’origine polonaise, résistante, membre du réseau communiste L’Orchestre Rouge ? Arrêtée à Etterbeek, elle fut enfermée à la prison de Saint-Gilles et torturée. Elle ne parla pas et finit par se pendre dans sa cellule le le 28 septembre 1942. Et on pourrait encore, ainsi, allonger la liste.

Ce déséquilibre de représentation genré relève de l’hégémonie masculine qui règne dans tous les espaces publics. Les rues, les places, les parcs, l’architecture et l’ensemble de la ville sont conçus par des hommes et pour des hommes. L’invisibilisation des femmes fait partie d’un ensemble plus large d’actes comme le harcèlement et les insultes sexistes dont sont victimes majoritairement les femmes et les minorités dans la rue. Ils rendent l’espace public hostile à certaines catégories de personnes. Repenser l’appellation des voiries doit s’accompagner d’autres mesures pour redonner aux femmes et aux personnes queers un sentiment d’appartenance et de bien-être dans l’espace commun. Lutter contre cette invisibilisation, c’est le combat de la collective « Noms Peut-être » dont je voudrais saluer ici les actions clandestines dans l’espace public et l’aiguillon qu’elles représentent pour nous, femmes et hommes politiques. 

Nous nous sommes engagé.e.s à travers notre accord de majorité à faire en sorte que les projets communaux d’aménagement urbain prennent en considération la sécurité, l’accessibilité et les besoins de toutes et tous. Et puis ce 26 septembre, nous nous sommes également engagé.e.s à travers une motion déposée par Agnès Vermeiren, conseillère communale Ecolo, et Lesia Radelicki, conseillère communale socialiste, à entre autres (parce que la motion va bien au-delà) attribuer dorénavant des noms de femmes à des lieux, espaces (petite place, école, lieu culturel, sportif, parc, arbres, …) non encore nommés et de proposer un plan d’action à ce sujet.

L’inauguration des plaques de cette place constitue un premier pas dans cette direction. Il était plus que temps de réhabiliter Marie Janson. Car si on connaît le Carré Moscou, le Carré Monnaies, qui sait que cette place où nous nous trouvons actuellement s’appelle en fait Place Marie Janson ? Même Google map, jusqu’il y a peu, nous avons heureusement pu modifier, ignorait l’appellation officielle, alors que la place a reçu cette dénomination officielle en 2004. C’est comme je vous le disais en introduction pourtant l’une des trois seules rues ou place à Saint-Gilles portant le nom d’une femme ! 

Alors je vais évidemment en venir à Marie Janson, c’est elle que nous célébrons aujourd’hui. Née en 1873 à Saint-Gilles à la rue Defacqz, elle est élevée dans un milieu bourgeois et intellectuel. Après la Première Guerre mondiale, durant laquelle elle est très active principalement auprès des familles défavorisées, elle rejoint le Parti Ouvrier Belge (POB), ancêtre du Parti socialiste, avec son fils. Elue au conseil communal de Saint-Gilles en 1921, elle est choisie par l’exécutif (Emile Vandervelde) du Parti ouvrier belge, pour devenir la même année sénatrice cooptée, alors que les femmes n’avaient pas encore le droit de vote. Elle restera donc pour toujours la première femme membre du Sénat. Elle s’intéresse principalement à l’enseignement, à l’enfance et à la condition féminine. Elle fondera les Femmes prévoyantes socialistes en 1928. Victoria Videgain, présidente des FPS de Saint-Gilles, nous en dira également un mot juste après.
Tout au long de sa carrière au Sénat, Marie Janson fait preuve d’un travail sérieux, ce qui lui vaut un certain prestige. Ses nombreuses interventions concernent généralement l’enseignement, l’enfance, la condition féminine et l’antialcoolisme. Elle qui a dû attendre 1948 pour pouvoir bénéficier du droit de vote, était déjà l’auteure de plusieurs propositions de loi, spécialement sur : l’assurance maternelle, l’organisation d’un enseignement moyen du degré supérieur pour jeunes filles, le contrat de travail des « gens de maison », une modification de l’œuvre nationale de l’enfance et la création d’une université néerlandophone à Gand.
Elle fut également la première femme à présider une assemblée parlementaire belge, le 11 novembre 1952. 

Elle a de son vivant toujours refusé les distinctions honorifiques. Bien que pionnière du mouvement féminin et symbole de l’émancipation féminine, elle a fait l’objet des préjugés de son époque, définissant la femme en fonction des hommes. Dès lors, lorsqu’elle décède en 1960 à Saint-Gilles, on ne parle plus que de la fille de Paul Janson, la sœur de Paul-Émile Janson, la mère de Paul-Henri Spaak et on rajoutera plus tard la grand-mère d’Antoinette Spaak. Le combat pionnier de la femme politique disparaît. Je suis donc particulièrement fière aujourd’hui de pouvoir la réhabiliter en saluant à la fois sa lutte pour l’émancipation féminine, son combat politique mais également de pouvoir enfin la sortir de l’ombre et la visibiliser en inaugurant les 4 plaques à son nom installées aux entrées de la place. »

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